Extraits d'une interview donnée

à Jean ROCHEDIX,

L’Echo Liberté, 7 décembre 1950



Nous l’avons surpris à la descente du train de Paris :

  • J’en suis encore tout étourdi !… parodia-t-il sans affectation.

Pierre Molaine est la simplicité même, une simplicité paysanne, dosée de bon sens et d’humour.

  • Comment on fabrique un Renaudot ? Je vais vous le dire : vous recevez le vendredi un télégramme mystérieux de votre éditeur : " Venez d'urgence ". Vous appelez Paris en tremblant : " Allo ? Oui, mon cher, des bruits, rasant le sol… " La tête en feu, vous prenez votre billet. Vous débarquez à la gare de Lyon, le lundi matin à 8 heures. A peine le temps de dire : " Ouf ! ". Les photographes vous mitraillent. Les journalistes vous accaparent. Les amateurs d’autographes vous implorent...

- La surpise fut complète ?

  • Vous pouvez le dire. Je suis la preuve vivante de l'indépendance qui règle cette loterie. Il y a cinq ans que je n'avais mis les pieds dans la capitale. C’est assez vous avouer que je ne dois pas le prix aux démarches, aux intrigues, aux reptations plus ou moins savantes.

On n'est pas plus provincial que Pierre Molaine. Toute une lignée d'instituteurs villageois derrière lui. Son père professait à l’école des Arts et Métiers de Voiron :

  • Mais il n’a pas voulu qu’à mon tour je poursuive ma carrière dans l’enseignement.

- La littérature, déjà ?…

  • Erreur. Après mon bac et quelques études de droit, à Paris, on m’orienta vers les guichets sans horizon de l’Enregistrement. J'étouffais. Au bout d’un an, par bonheur, le service militaire me libéra. Les chasseurs alpins à Chambéry. C’était en 1927.

- Vous n’aviez rien publié ?

Pierre Molaine proteste avec douceur :

  • Je ne crois pas aux vocations trop précoces. Longtemps, j’ai écrit pour moi seul. Mon père m’y encourageait et ma mère aussi, qui composait pour son plaisir. J’étais resté dans l’armée. Je fis la guerre et ce n’est qu’en 1941 que Corréa sortit mon premier roman : Samson a soif . Une oeuvre surréaliste. J’ose à peine la relire aujourd’hui. J’écrivis alors, coup sur coup, deux récits, inspirés par l’actualité : Batailles pour mourir et Violences. Le premier fut refusé par la censure. On résolut de passer outre pour le deuxième, mais les Allemands, alertés, perquisitionnèrent à l’imprimerie, détruisirent le plomb et mirent au pilon les exemplaires tirés. Dès 1945, ce fut le vrai lancement.

- Et le succès ?

  • Cette année-là, déjà, Violences eut des voix au Renaudot. Peyreffite finit par l’emporter. On avait également parlé du Fémina pour De Blanc vêtu.

- Vous étiez lancé ?

Pierre Molaine s’effarouche, à ce mot. Tout comme il écarte de la main la question que nous risquons sur sa " doctrine ", sur ses tendances :

  • Excusez-moi, mais je me borne aux choses vues, aux faits vécus. Du reportage romancé, si vous voulez, qu’il s’agisse de Mort d’homme, de Hautes Oeuvres, et même des Orgues de l’enfer.

Pour ce dernier, on a parlé de roman " noir ". Notre auteur s’en préoccupe fort peu. Toute sa physionomie souriante détruit l’idée même du systématique en lui.

  • J’ai fait revivre des types, observés dans un service de neuropsychiatrie, près duquel m’avait conduit une longue hospitalisation. Ils sont ce qu’ils sont. N’y cherchez pas ma propre théorie du monde. Ce n’est pas mon affaire.