...... "une autobiographie romancée" ......


Frères humains

nouvelles

Editions Corréa, 1938


(Les nouvelles Hymne à Baal  et  Sur la route obscure 

comportent une part importante de souvenirs personnels :

évocation de Thiers et de Simandre sur Suran)


L’homme fort ne s’attendrit pas sur son passé. Il y puise le réconfort aux heures de doute. Lorsqu’il a soif, il s’abreuve à sa source sacrée. (Page 52)

-----


Il n’est que les hommes forts pour avoir peur de mourir. (Page 53)

-----

La vie est belle. Les hommes sont laids. J’ai trop souffert pour ne pas les connaître. Je les connais trop pour souffrir désormais. Cette science de l’humanité dans l’opprobre et la misère, cette science triste et comme honteuse, dont je m’accuse plutôt que je m’en vante, s’acquiert moins en traversant les mers et parcourant les contrées étranges qu’au jeu quotidien de l’existence. O voyageur, pourquoi aller chercher si loin ? Mes yeux voient. Mes narines sentent. Mes oreilles entendent. Mon cœur bat. C’est pourquoi, je déclare que l’humanité est laide. Il me faut ce ton pour tenir ce langage, et l’habitude des tramways, du métro, des salles d’attente, des buffets de gare, surtout des hôtels meublés et peut-être aussi d’autres mauvais lieux. (page 74).

 

-----


J’ai souvent constaté que les souvenirs auxquels l’homme se complaît le plus volontiers sont moins ceux de l’adolescence et de l’âge mûr que ceux de la première enfance. C’est qu’ils émanent de sensations plus pures et qu’ils n’associent pas la mémoire à des contrastes proprement affligeants. Ce que d’aucuns dénomment âge de raison n’est-il pas cette date de l’évolution de la personnalité où la triste faculté de réagir aux laideurs de l’existence se dégage du commerce humain ? (Page 146)


-----


Mais ne parlerai-je donc jamais que de moi ? Voilà : il faut que je me raconte. Alors, reléguons au magasin à accessoires les personnages de fiction, la marionnette du guignol. Etre écrivain, après tout, ce n’est pas difficile, quant au fond. Le récit psychologique ? Ah, la , la ! Est-il donc si ardu de confronter la femme, le mari et l’amant, la femme, la mère et l’amant, la mère, le fils et l’amant, le père, la fille et la femme ? Des combinaisons ! La psychologie, ça se tire de dessous les robes. Suffit de faire trousser quelqu’un par quelqu’un qui n’y a pas droit. Le récit historique ?

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes.

Des cochons comme nous. Alors, la belle Ferronnière, le parc aux cerfs, les cocuages à couronnes, pas compliqué. Le roman d’atmosphère ? Faites pleuvoir. Faites neiger. Canaux, chalands et marées hautes. La rue Vide-Gousset. Le quartier des filles folles. Un petit vocabulaire technique. Ah ! Y a des gens qui ont de la plume.

Mais, dites-moi, l’humanité, dans tout ça ? Lisez les journaux, allez, ça vaudra mieux. Rubrique des faits divers. Là, on apprend des choses. Moi, j’aime le travail tout fait. Souvenirs maison, chauds, cuits, prêts à servir. Vous n’aimez pas ça ?  (Page 201)